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12 janvier 2018 5 12 /01 /janvier /2018 07:01
Jour de colère

Ce lit est trop grand et la place trop petite. Qu'est-ce tu croyais ? Qu'on allait t'offrir une place confortable ? T'as décidé de partir, mais t'as pas choisi la première classe. On se disait depuis des années qu'un jour ça finirait bien par arriver, qu'à force de crier au loup, tous ces trucs qu'on se dit à chaque tentative pour conjurer le sort. Pour se rassurer ou pour se faire peur. Et ça finit par arriver, et on se retrouve démunis, parce que rien n'est plus terrible que la solitude, sauf peut-être la culpabilité qui viendra nous hanter désormais et qui remplacera nos craintes sur toi. Plus rien n'a d'importance face à la détresse d'un vivant, rien. Je ne suis pas de ceux qui se délectent du malheur des autres pour se donner de l'importance ou pour se vanter d'avoir du cœur.Ils m'énervent ces crétins qui affichent leur soi-disant bon cœur en nous mettant dans des chaînes d’amitié ou en nous faisant croire que le sort de l'humanité partout sur le globe les tient à cœur quand ils cliquent "j'aime" sur un fait divers ou un événement sordide que nous vomit l'actualité sans interruption. Non-stop qu'elle est cette déchéance de l'humanité. Quand on croit aimer tout le monde, finalement, on n'aime que soi-même. On demande juste un peu de compassion sur un être, livré à lui-même, face à un mur insurmontable : le mal de vivre. Ça dure depuis longtemps, ça te prend jeune et ça ne te quitte pas.  Ils me font marrer les autres avec leurs petits malheurs, toujours soi devant les autres, soi en mise en scène, la jouissance du soi qui croit jouer des coudes pour se frayer un chemin. Leurs malheurs insignifiants de leurs vies insignifiantes. Des petits malheurs qui alimentent des rivières de mesquineries. Ça pleure, ça gémit, ça se met en scène pour attirer la sympathie, une peu de considération quoi ! Et tant pis pour les autres. Il faut des gagnants dans cette vie, les autres peuvent crever. Mais ceux qui souffrent réellement le font en silence et finissent, au grand soulagement des vaniteux et des amateurs de tragique par en crever de ce silence. Et en parlant de crever, t'as fini par te finir. Te dézinguer dans ces premiers jours de janvier comme si recommencer une nouvelle année était insupportable, comme si t'avais peur d'être broyer une année de plus. Le vide devant ce qu’il reste à vivre ou, justement, ne plus vivre. Routine, ces jours nouveaux qui n’ont plus la saveur de la nouveauté, tous ces jours qui se ressemblent. On t'a fait quoi pour se retrouver là ce matin, les gueules tristes à se rappeler tes rires sonores, trop parfois, pas assez souvent. On s'effondre dans notre pâleur, on disparaît contre les murs, on s'évite, on ne peut plus parler ou on ne veut pas. Le temps nous emporte et tu nous fais un doigt d'honneur en nous disant : maintenant c'est à qui le tour ?  Je vous attends.

On pèse 100kg, une tonne, peut-être plus même, la pesanteur nous cloue au sol, impossible d'avancer. Cette pièce est étroite, et elle pue. On a envie de partir et on reste malgré tout : si on part, on a peur que tu disparaisses encore. On t'y laisse puisque c'est ce que tu voulais. Et je ne te remercie pas de nous avoir laissé l'image de ton visage même pas apaisé dans la mort. T'es encore plus tourmentée que vivante : tu n'en finiras donc jamais de toi ?

J’ai une envie soudaine de claquer la porte, faire résonner ce bruit dans tout l’établissement pour qu’on entende le bruit des vivants, marcher dans la rue pour frôler les vivants, faire l’amour pour toucher du vivant.

Tu ne nous entraineras pas dans ta chute, tu ne réussiras pas à nous faire dévaler les pistes du désespoir, tant pis pour toi… Nous, il nous reste suffisamment d’espérance de ce monde pour être encore en colère. Pas désespéré hein ? J’ai bien dit en colère, celle qui te fait lever le matin pour bouffer la vie, celle qui te réclame de l’énergie pour alimenter ta volonté, celle qui te demande de l’amour pour continuer. Tu nous entraineras tout juste au funérarium, on se regardera comme des bêtes qui veulent ronger le même os, ta mémoire. Garder ce qu’il peut l’être, les souvenirs. Ne pas les partager, les souvenirs, non, les garder pour te garder encore un peu. Les morts sont soumis aux caprices de la mémoire des vivants. Et tu vivras tant que vivra mon caprice de te maintenir en vie. En voulant te libérer, tu t’es enchainé à moi, à eux, à nous.

Je te laisse là ; parce que se dire adieux fait partie du jeu, et sais que tu hanteras une mémoire collective qui s’effacera petit à petit. Pour ce qui est de l’individuel, il y a des traces qui perdurent. Des traces qu’on n'efface pas, qui font partie de notre crasse, de notre puanteur. Ces trucs dégueulasses qui collent à notre peau. Ces trucs que se coltinent les vivants et qui te faisaient horreur.

Alors maintenant, et pour encore très longtemps, bienvenue dans le monde des vivants.

 

 

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