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8 décembre 2020 2 08 /12 /décembre /2020 13:10
Conte de Noël

J'avais pris l'habitude, quand je ratais le train de 17h30, de patienter à la brasserie de la gare. Sa terrasse, chauffée en hiver, offrait d'un côté une vue sur le parvis de la gare et de l’autre un coin plus intime donnant sur une petite rue. C'est dans ce recoin que je m'installais pour prendre une bière, histoire de décompresser de la journée. Et celle-ci avait été des plus désagréables : on approchait de Noël, le patron ne regardait que les chiffres et remettait en cause systématiquement notre travail. A cela s’ajoutaient des problèmes dans mon couple, pas vraiment des choses graves mais des incompréhensions qui perturbaient notre vie.

Ce soir-là, je ressassais mes problèmes sur la terrasse chauffée. Un homme, assez jeune, voyageur entre deux trains, vint me rejoindre et entreprit la conversation. Il me raconta sa vie en peu de mots : commercial dans les éoliennes, secteur d'avenir mais compliqué, marié, deux enfants, petite vie dans un village à proximité d'une grande ville, vie pépère et heureuse d'après ses dires. Je me livrais à mon tour avec confiance : mon boulot de technicien dans une chaîne de production, mon couple qui battait de l'aile, mon appart que je ne supportais plus dans cette rue bruyante et mon envie de vivre à proximité de mon travail pour ne plus prendre le train chaque jour. Il m'écoutait avec attention, me souriait quand j'expliquais mes envies et se mordait la lèvre quand je racontais mes problèmes. Il me donna des conseils pour mon couple, s'appuyant sur son vécu et me redonna du courage. Il m'offrit une bière qu'il alla chercher au bar puis se dirigea aux toilettes. Un bon quart d'heure passa et mon train n'allait pas tarder à entrer en gare. Je décidais de le chercher dans le bar mais il n'y était pas, le serveur ne voyait même pas de qui il s'agissait. Je revins à ma table récupérer mes affaires et remarquai le sous bock de l'inconnu: au dos était inscrite une succession de chiffres que je pris pour une date de naissance, puis des mots comme : commercial, éolienne, marié, deux enfants, petite ville et à la fin, écrits au feutre noir, "C'est à votre tour d'être heureux".

Peu de temps après, je revis l'inconnu. Il était assis dans le hall de la gare en grande conversation avec une jeune fille. Intentionnellement je m'installais à proximité pour qu'il me remarque. Il me dévisagea avec étonnement et me demanda ce que je voulais. Je lui dis que avions conversé un soir dans la brasserie d’en face, ce dont il ne souvint pas et il s'excusa de ne pas savoir de quoi je voulais parler. Il reprit sa conversation avec la jeune fille puis, comme il avait fait avec moi, alla commander deux cafés qu’il déposa à leur table avant de disparaître aux toilettes. J'étais très intrigué par le comportement de ce personnage. Comme je l’avais fait, sans doute lassée d’attendre, la jeune fille partit en laissant son café. Sous la tasse, je remarquai un sous-bock et, intrigué, je me déplaçai pour le récupérer. Le retournant, je lu avec stupéfaction les mots griffonnés par l’inconnu: Ma date de naissance, mon travail, problème de couple, train de 17h30 et surligné en gras « C’est à votre tour d’être heureux ». Je compris alors qu’il avait emprunté mon identité pour aborder la jeune fille et lui avait donné le même conseil qu’à moi: être heureux!

Ce soir-là, je suis rentré chez moi en me posant des tas de questions sur l’inconnu. En arrivant j’ai raconté cette histoire à ma compagne, puis j’ai enchaîné mécaniquement sur mon envie de partir de cet appartement pour me rapprocher de mon travail, sur l’envie de partager plus de choses avec elle de mieux la comprendre, pour mieux vivre ensemble. Je lui tenais les mains et je tremblais en lui parlant de tout ce qui me tenait à cœur et que je taisais depuis si longtemps, trop longtemps.

Et comme nous approchions de Noël, je formulais un vœu :   je voulais simplement être heureux….

Au printemps, quand nous avons appris que ma compagne était enceinte, nous avons déménagé, j’ai changé de service et depuis je me sens mieux dans mon travail.

Je reviens parfois à la brasserie de la gare m’installer sur la terrasse qui donne dans la ruelle. Je repère des personnes solitaires, bavarde avec eux, leur offre un verre et surtout, je les écoute. Et partant discrètement de la brasserie, je laisse sur leur sous-bock ces quelques mots inscrits au feutre:
« C’est à votre tour d’être heureux ! »

 

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