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23 décembre 2015 3 23 /12 /décembre /2015 16:53

Si j’ai bien tout compté, j’ai 50 euros dans ma chambre et 150 euros sur mon livret. C’est assez pour me barrer d’ici. J’en ai assez, et puis mon père est un plouc.

J’en ai assez de vivre sur cette butte, les près qui tombent en avalanche sur la rivière, ça amuse les vaches mais pas moi. Au bout du chemin, je vois l’autoroute et toutes ces voitures qui partent, nous, on reste toujours là. On part jamais.

Mon père est un plouc…., je ne comprends rien à la ferme, mais depuis un an , on est dans la dèche, il part bosser sur des chantiers, mais c’est toujours pareil à la maison, y’a pas de fric. On bouffe toujours la même chose, et cette année, il n’y aura pas de Noël. Pas de PS4, ni autre chose. Je vais passer pour un plouc au collège. Mathis et sa bande, ils nous tombent dessus souvent, Jules et moi. Parce qu’on n’a pas les bonnes fringues, parce qu’on pue, parait-il…. Jules, oui il pue, sa maison pue : son père travaille à la station d’épuration, et ça pue les pieds chez eux. Il est plouc Jules, on se connaît depuis la maternelle, mais là, on est au collège, et il me fait honte. Comme mon père…. M’en fout moi de Mathis et sa bande, Charlotte préfère Mathis à moi, mais je m’en fout, je me tire d’ici.

J’ai bien compté, 50 euros dans ma chambre et 150 sur mon Livret.

Ce soir c’est Noël, j’ai pas envie de ne rien voir sur la table et au pied du sapin. En plastoc qu’il est le sapin, c’est ringard. Y’a rien à faire ici, et notre télé, n’est pas un écran plat. La honte…

Je me suis levé de bonne heure, et j’ai tout emporté dans un grand sac. Il fait encore nuit. Je vais prendre mon vélo dans la grange, je l’ai mis là pour ne pas faire de bruit. J’ouvre la porte de la grange, , j’entends du bruit, des sanglots derrière la porte à outils, celle où on n’a pas le droit d’y rentrer sans se faire engueuler.

Je vais voir de plus près.. Mon père se tient sur un tabouret , la tête dans ses mains, il pleure, un fusil à ses côté. .. Non j’y crois pas, mon père ce plouc chiale comme une gonzesse…. Si Mathis et sa bande voyaient ça, la honte pour moi… Jules , il pourrait comprendre, mais j’lui dirai rien. C’est comme ça l’amitié entre mecs : on chiale pas comme des gonzesses.

Vivement qu’il se barre pour que je puisse prendre mon vélo et partir. J’irai jusqu’à l’arrêt de bus et prendrai celui qui part tôt. J’prendrai un billet pour Paris, parce que Paris, y'a de la lumière , des gens, des écrans plats, pas de Mathis et sa bande, et puis, des Charlotte, y’en a , des biens , des mieux que la mienne qui ne s’intéresse qu’aux garçons qui ont des baskets à 100 euros la paire…

Mon père retire ses mains, prend le fusil et pose le canon sous son menton.

Mais qu’est- ce qu’il va faire ce plouc ? Je suis incapable de penser, je suis figé, y ‘a plus rien autour, même les vaches qui nous restent ne meuglent pas. Y’a que le silence du froid, le silence de la buée qui s’échappe des bouches et qui forment des nuages . Je suis incapable de bouger. Que ferait Jules, Mathis et toute sa bande ?

Mon père est un plouc, mais pas au point de se tirer une balle, tout ça parce qu’on n’a plus de fric ….

Je ne fais, rien, tout semble durer une éternité une seconde, un rire nerveux comme dans les enterrements, un cris comme lorsque je dévale les près jusqu’à la rivière. Il ne se passe plus rien.

Putain… mon père va se tuer, et je suis incapable de bouger. Je me dis que si je ne fais rien, j’aurai des tas choses à raconter à la rentrée, Charlotte viendra me voir et quittera Mathis et sa bande de ploucs…. Mais le plouc c’est moi si je n’empêche pas mon père de se tuer….. C’est moi le plouc si je ne suis pas capable d’avoir suffisamment de colère en moi pour sauver des gens, des gens que j’aime….c’est moi le plouc qui pense à tout ça et qui suis incapable de bouger. Et c’est moi qui, pleure maintenant.

Le chien s’est faufilé entre mes jambes et passe dans la réserve à outils, il est moins con que moi le chien, il lèche la main de mon père, le canon se retire du menton. Il ne reste que des larmes, des sanglots…

Il rentre à la maison et je le rejoins. Sa voix est inaudible, ou c’est moi qui n’entend plus rien :

-Tu t’es levé tôt.

J’ai les yeux aussi rouge que lui. Ma mère nous surprend tous les deux, nous regarde

-On avait envie d’un canon avant d’attaquer la journée avec papa

Ma voix s’étrangle, mon père ne regarde plus rien ; le matin se fige sur la gelée blanche du prés qui descend vers la rivière.

J’ai couru aussi vite que j’ai pu pour aller chez Jules. Ça pue des pieds chez lui , mais au moins il fait chaud et il a un écran plat…. Je l’ai accompagné au supermarché, enfin, à Lidl et j’ai dépensé en cadeaux mes 50 euros . Et je suis allé à la poste, retirer mes 150 euros. Je les ai plié dans un papier de soie que la mère de Jules m’a donné.

Et puis le soir, au moment du repas, j’ai donné mes cadeaux, à maman une écharpe, à ma sœur, une vilaine poupée aux cheveux hirsute et mon frère, un camion de pompier made in china.

Puis j’ai tendu le papier de soie à mon père. Il a déplié soigneusement. Il n’a rien dit. Il m’a juste serré dans ses bras, ses grands bras de plouc qui bosse sur les chantiers pour payer les traites restantes de la ferme.

Maman a sorti du cellier un immense carton . Elle en sort un super écran plat, un plus beau que chez Jules ou que chez Mathis.

On crie tous d’admiration, même mon père. Il est même le premier à déchirer le carton et l’installer : y’a des couleurs, y’a du son….mon père m’explique les fonctions de la télécommande, c’est pas un plouc mon père, il en connaît un rayon, plus que celui de Mathis et sa bande de ploucs. Leurs baskets elles coûtent un max, mais elles marchent comme les miennes dans la bouses et la merde les matins pluvieux. Demain, on, prendra le carton vide et on se laissera glisser sur le près, jusqu'à la rivière. Demain on sera là, tous, et ce sera le plus Noël .

Si j'ai bien compté, il ne me reste plus rien sur mon livret, plus rien dans ma réserve, mais j'ai toute ma famille et des souvenirs plus beaux encore : un Noël , un vrai !

Le plus Beau Noël !

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