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15 décembre 2017 5 15 /12 /décembre /2017 12:26

Le journaliste est un témoin gênant : il nous relate les faits dans sa nudité pour nous transformer en voyeur. Il n'y a rien de plus inavouable que cette fascination honteuse pour la lecture des chats écrasés. Mais certains journalistes bravent l'objectivité pour nous en donner plus : écrire sur des faits divers pour nous en donner les clés, pour une certaine compréhension.

Au début du siècle Charles-Louis Philippe, était connu pour livrer son point de vue des faits divers. Issu d'une famille pauvre, c'est presque par miracle qu'il apprend à lire et à écrire. Il part à Paris et décroche un emploi. Mais à l'âge de vingt ans il va commencer à écrire des poèmes et des romans à compte d'auteur. Il n'oubliera jamais la condition sociale dont il est issu, il va donc naturellement écrire sur les "petites gens de sa condition". Il va donner dans ce que l'on appelait à l'époque, le style "populaire" (qui n'est pas un gris mot).  Il publiera dans Le Revue blanche en 1901 des faits divers de Paris. Il devient célèbre car il donne aux histoires une explication sociale. "Bubu de Montparnasse" et "Le Père Perdrix"  sont deux romans forts de cet auteur. En 2006, les éditions Lenka Lente, ont publié " Faits Divers" où on retrouve des articles de Charles-Louis Philippe. Il ne dédouane jamais les voyous sr leur acte, mais donne un éclairage sur l'origine des actes.

Une auteure va aller plus loin : dans "Une chanson douce" chez Gallimard, elle nous entraîne avec lucidité et détachement sur un engrenage sanguinaire d'une nounou qui va assassiner les deux enfants dont elle a la garde. On sait dès la première phrase du livre qu'un drame va se jouer devant nos yeux :" Le bébé est mort. Il a suffi de quelques secondes. Le médecin a assuré  qu'il n'avait  pas souffert." Longue agonie de la solitude et de la frustration, Leïla Slimani nous donne tous les codes pour comprendre cette histoire. A aucun moment elle cherche à nous convaincre. Pourquoi le ferait-elle d'ailleurs : la nounou est coupable, c'est factuel. Mais elle nous fait vivre au plus près de cette famille : la réussite du père, la mère qui recommence une vie professionnelle, les enfants qui s'attachent à la nounou, et elle, la meurtrière, de plus en plus isolée et indispensable à la bonne marche de la maison. Qu'arrivera-t-il quand les parents n'auront plus besoin d'elle ? Descente aux enfers de la frustration, qui oscille entre désespérance, faux-espoirs et doutes. La vie de la nounou n'est pas la vie des autres. Ames sensibles s'abstenir.

Le journaliste ne se contente plus d'être le relais entre un fait et le lecteur. Il a un rôle essentiel dans la transcription des faits, un peu comme un concepteur de puzzle. Chaque pièce est essentielle si on veut comprendre la réalité à défaut de se contenter d'une vérité. Les écrivains –journalistes donnent une force supplémentaire au récit : comprendre l’incompréhensible tout en ne prenant pas parti. Ce qui rend la lecture plus riche, moins impersonnelle et toute aussi glaçante.

 

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