Un copain argumentait dans une conversation animée, un « tu ne sais rien parce que tu es désinformé par la presse capitaliste ». Je n’avais plus entendu ce type de propos depuis la fac où, par ennui, je fréquentais les lambertistes et autres anars autoproclamés. Moi aussi à 20 ans je pensais qu’on n’était pas de mon avis parce qu’on lisait « la presse bourgeoise » qui , dans ma région, se nommait Midi Libre. Quand je repense à ces années , j’en ai presque honte : croire que lire les avis d’obsèques et les résultats de foot du canton était un acte politique de droite était d’une bêtise qui rivalisait avec une haute opinion de moi-même et mon autosuffisance. Quand un étudiant venait exposer ses théories, je me souviens qu'un des gars lui lançait : " D'où parles tu camarades ?" , ce qui valait à un beau : "quel est ta légitimité pour parler de ce que nous, nous savons mieux que toi".
J'ai revu un copain de fac pour les 40 ans d'une amie commun, nous nous sommes souvenus de longues conversations-pour lui tout était politique- et de ses engagements ( il était à la Fa) . De cette période il a gardé son sourire toujours lumineux, ses lunettes rondes et une activité syndicale. Son plus grand combat m'avoua t-il, fut de créer une famille dont il en était très fier. Nous nous sommes souvenus également du mariage de notre amie, où son oncle farouche défenseur du Rpr , nous abreuvait de propos que je ne comprenais pas, utilisant des abréviations, des surnoms aux formations politiques, des références de son parti. Il déambulait dans ce mariage comme dans une convention politique. Il essaya de me parler d'une quelconque initiative que j'écoutais avec politesse quand deux garçons réfugiés sur une terrasse à l'écart croyant être hors de vue, s'embrassèrent. Il arrêta net son discours pour marmonner un" qu’est ce que c'est que ces pédés ?" auquel je répondis un joyeux" Oh! comme ils s'aiment". Il repartit à sa table soûler les autres et ne m'adressa plus la parole de la soirée.
Finalement, avec mon copain de fac ,on a trinqué à l'amitié qui vaut plus que n'importe quel discours politique, à l'amour cet autre aveuglement mais qui qui ne fait de mal à personne. Et la prochaine fois qu'on me demandera " d'où je parle", je répondrais: " du pays des souvenirs camarade, de ces matins froids et ensoleillés qui cachent la douceur et annoncent le printemps". Je ne serais pas devenu un peu bourgeois moi ?